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Le bruit avait couru la ville, puis était remonté jusqu’au château, venu d’un pays magnifique et lointain, un peintre à nul autre pareil s’installait chez le bourgmestre. Méric, fils et apprenti du peintre officiel, Maître Djarno, fut un des premiers à s’inquiéter. Il savait  combien il faut de temps et de persévérance pour arriver à maîtriser les ombres et les couleurs, combien il faut de patience pour se faire connaître. Et voilà que du jour au lendemain on ne parlait que de ce nouveau venu qui n’avait même pas 25 ans, était invité à la table des nobles et se promenait fier comme un paon au milieu des courtisans. Il se vantait de ne jamais peindre un seul tableau qui ne fut  au goût du modèle, disait que ce jour-là, il jetterait ses pinceaux, brûlerait ses toiles et se ferait ermite. Les nobles toujours prêts à relever un défi invitaient le nouveau venu à tour de rôle pour se faire peindre. Et chaque fois tombait le verdict :

«Parfait, excellent, que dis-je excellentissime, le plus grand, le plus beau»

Il se faisait payer, fort cher, inviter à toutes les soirées, présenter aux plus belles filles du royaume et sa renommée fut telle qu’en peu de temps arriva ce que redoutait Méric, Le Peintre, puisqu’il se faisait appeler ainsi fut invité à venir peindre Sa Majesté.  Maître Djarno en fut attristé, sentant bien tourner le vent. Très vite Le Peintre prendrait sa place.

 

En effet, il ne fallut pas plus de 4 jours au Peintre pour exécuter un tableau fort vivant et extrêmement flatteur du Roi. Entre temps Méric avait entendu de sombres bruits courant sur l’artiste. Ses modèles, du jour où le tableau était exécuté, changeaient. Ils voyaient leur humeur s’assombrir, leur caractère s’aigrir. Passant de plus en plus de temps en admiration devant les tableaux qui semblaient avoir emprisonné la meilleure part d’eux-mêmes. Mais ce bruit-là, lorsqu’il vint aux oreilles du Roi fut chassé avec indifférence :

« Il ne s’agit là que d’accusations mensongères proférées par des jaloux » affirma Le Peintre en regardant Maître Djorna, et le Roi rit bruyamment à cela. Le père de Méric  profondément blessé commença à préparer ses bagages. La Princesse qui aimait bien Djorna, et encore plus Méric,  essaya bien de les convaincre de rester, mais il répétait :

«À quoi bon, le Roi ne m’aime plus, bientôt il me chassera, je préfère garder ma dignité et partir avant que cela n’arrive»

 

Le roi commença à changer. Cela fut imperceptible au début. Il riait des moqueries méchantes des ses courtisans, alors qu’auparavant il aurait remis le moqueur en place, puis il passa de plus en plus de temps dans la salle du trône, à admirer son tableau. Il traita de plus en plus mal ses domestiques, les punissant pour des broutilles. Lui qui avait eu la réputation d’être un roi juste et bon, devint cruel en quelques semaines. Méric n’était plus là pour observer les changements, mais la princesse, en grand secret, vint lui rendre visite dans sa nouvelle demeure : un modeste logis loué derrière l’auberge. Les domestiques parlaient aussi beaucoup en ville de toutes ces nouveautés et les ragots allaient bon train. Méric s’inquiétait, et cela empira lorsque la nouvelle courut la ville. La princesse, la belle Alasta allait se faire portraiturer. L’on racontait qu’elle avait tout d’abord refusé, puis que le roi avait tempêté, crié, puis ordonné. Enfin, la princesse avait été enfermée dans ses appartements et Le Peintre allait commencer le portrait le lendemain.

 

Méric était fou d’angoisse, le Roi avait changé, la ville était sous la coupe du nouveau capitaine des gardes, Kermal, un rustre cupide et brutal et voilà que Alasta était mise en cause, la Princesse qu’il considérait comme une petite sœur, à qui il avait appris à marcher, celle qui timide venait se réfugier derrière la grande cape de Djorna lorsque le Roi recevait des ambassadeurs étrangers, celle qui était devenue le belle Alasta était en grand danger de devenir … autre. Méric se décida. De son enfance au palais il avait conservé le souvenir de tous les passages discrets empruntés par les servantes allant retrouver leurs galants. Le soir même il  se faufila par une  poterne jusques dans les cuisines du château, de là, il emprunta le couloir dérobé que les serviteurs utilisaient pour apporter directement les plats des cuisines jusqu’à la salle des banquets. Celle-ci était désertée ces temps-ci, les fêtes ayant fui le château au fur et à mesure que l’humeur du Roi s’était assombrie. L’ancien atelier, ainsi que les appartements de Djorna se trouvaient juste derrière cette salle. Il suffisait de pousser la porte au bout du couloir pour accéder à la Grand Salle. La porte était fermée à clef pour la première fois depuis … la création du château. Méric haussa les épaules et tira de sa besace le gros trousseau de clef « emprunté » dans la poche de Kermal lors de sa dernière beuverie. La salle était vide, il se dirigea vers ses anciens appartements prêts à les inspecter de fond en comble, certain que Le Peintre les habitait.  .

 

Un bruit derrière lui le fit se dissimuler derrière les tentures occultant les fenêtres. Le Peintre entrait à son tour dans la salle. Se conduisant en propriétaire il se promenait de ci, de là, poussant un banc, bousculant une tapisserie. Puis il tira de sous sa tunique un petit miroir terni, le posa sur le manteau de la cheminée. Dans le foyer de celle-ci il ramassa de la cendre qu’il posa devant le miroir, en quelques instants celle-ci de grise devint verte. Puis des courtisans arrivèrent, les uns après les autres, s’ignorant, et mornes, s’alignèrent contre les murs. Le Roi arriva, perdu parmi les autres. Méric ne l’avait pas reconnu, tant il avait perdu de sa prestance et s’habillait désormais de noir. Les uns après les autres ils passèrent devant le peintre qui les interrogea sur ce qu’ils avaient appris de la journée, nouveaux ragots, renseignements secrets concernant les alliances ou les conflits avec les royaumes voisins. Méric fulminait. Certains d’entre eux déposaient des pièces d’or ou des joyaux dans les mains avides du peintre

Puis la porte fut de nouveau ouverte, Fostin le vieil intendant entra à son tour, lui n’avait pas été peint et n’avait sans doute pas été invité, mais la lumière et le bruit dans cette salle l’avaient intrigué. Le Peintre ordonna :

« Attrapez-le »

Tous les « invités » du Peintre cernèrent le pauvre Fostin qui implorait :

« Messeigneurs, ce n’est que moi, Votre dévoué Fostin, je vous en prie ne me faites point de mal »

Mais c’était peine perdue. À peine immobilisé, il fut mené devant le peintre qui ragea :

« Gaspiller ainsi mon talent pour toi, enfin, je te trouverai bien quelque utilité. »

Puis il sortit de derrière une tenture un panneau de bois de peuplier déjà préparé, sa boîte de pigments, une petite plaque de marbre et quelques pinceaux. Méric ne se tenait plus, enfin il allait savoir … quoi au juste, il l’ignorait, mais il saurait quelque chose. Le peintre commença traditionnellement à verser des pigments en poudre, de l’ocre, sur la plaque, faisant un petit tas, puis fit un trou et avant de verser l’huile de lin, un peu de la poussière verte prise devant le miroir, et enfin, l’huile. Avec un mortier il écrasa et mélangea soigneusement le tout. Puis posant le panneau sur un chevalet il s’installa commodément pour peindre, tournant le dos à Méric qui n’en perdait pas une miette, enfin il allait voir ce que personne n’avait vu, le Peintre peignant. Certes, celui-ci acceptait qu’on le voit peindre, mais jamais de dos ou de profil, toujours de face et nul jamais, n’avait pu admirer la technique et l’avancement des travaux.  Le Peintre plongea directement le pinceau dans le mélange, sans plus de grâce ou de délicatesse qu’on touille la bouillie des cochons et commença. Méric eut le plus grand mal à retenir un « oh » de surprise. Un enfant des 4 ans dessinant avec le doigt dans de la terre aurait produit un dessin plus ressemblant. Mais très vite les gribouillages ocre se teintèrent de vert et le Peintre décolla son pinceau de la toile faisant quelques gestes dans le vide, de façon que ceux en face de lui aient l’illusion de le voir peindre. Et le tableau se dessina de lui-même, reproduisant fidèlement les traits de Fostin, saisissant sa crainte et sa colère d’une façon incroyable.

 

Cela dura peu, très vite le maître ordonna la libération du modèle et lui dit :

« Tu vas tout oublier, mais désormais tu obéiras à chacun de mes souhaits et chaque dernier jour de la semaine tu viendras ici me faire ton rapport à la 11ème heure. Je sais qu’il est inutile de te convaincre, toutefois, si par le moindre des miracles il te restait une bribe de volonté, sache  que tu n’as aucun intérêt à te rebeller, te sauver ou parler de ceci à qui que ce soit, sinon … »

Et le Peintre saisit un poignard à lame mince, en griffa légèrement la surface du tableau, à hauteur de pommette. Une estafilade sanglante apparut sur le visage de Fostin qui ne bougea ni ne cria.  Ensuite Le Peintre demanda à tout le monde de s’en aller, sauf  Fostin. Lorsqu’ils furent seuls tous les deux, il ordonna à l’intendant :

« Dans les appartements de cet âne bâté de Djorna tu trouveras le double de tous les portraits que j’ai faits de ces sinistres nobliaux, tu tremperas cette plume d’oie dans ces pigments verts, et tu la secoueras sur chacun d’entre eux. » Il ricana encore, « voilà, je savais bien que je te trouverai une utilité : tu vas me soulager de cette tâche fastidieuse, sois fier de toi, tu vas m’aider à tenir prisonnier le roi et sa cour »

Méric jaugea rapidement la situation, Fostin était vieux et faible, Le Barbouilleur en chef était un gringalet trop sûr de lui. Alors, l’on vit l’Apprenti se jeter sur le Maître. L’Intendant n’ayant reçu aucun autre ordre se dirigeait vers les anciens appartements de Méric, tandis que son nouveau Maître se faisait cueillir proprement d’un coup au menton. Méric eut à peine un moment d’hésitation avant d’assommer aussi le vieux Serviteur qui quoi qu’il se passe était bien décidé à accomplir son travail.

 

En un tour de main Le Peintre se retrouva ligoté à même le sol et le serviteur enfermé dans la petite garde robe des appartements. Et maintenant que faire, est-ce que les victimes du Peintre obéissaient à la voix ou à la volonté de leur Maître ? Est-ce que la « peinture » marchait quel que soit celui qui maniait les pinceaux ? Dans le doute il tenta ce qui lui paraissait le moins hasardeux. Imitant les gestes qu’il avait vu faire par Le Peintre il commença un tableau. En cours d’exécution, il dut « rendormir » son modèle. Quand le tableau se fut terminé de lui-même, Méric s’assit attendant le réveil de l’artiste. Il n’y eut pas l’ombre d’un doute, à peine avait-il ouvert les yeux que Méric observa ce regard vide propre à tous les portraiturés.

 

En quelques questions rapides  Méric put obtenir tous les renseignements nécessaires Le Peintre de son vrai nom Aspic était à l’origine un pauvre gars qui se voulait artiste et n’ayant pas l’ombre d’un talent, avait fait un marché avec un sorcier. En échange de la réalisation de tableaux fabuleux, il capturerait l’âme de ses modèles et à condition que ceux-ci meurent lorsque  leur asservissement serait complet,  l’âme de ceux-ci nourrirait la jeunesse du sorcier et entre temps seraient au service du peintre. Méric avait apparemment mis un terme prématuré aux ambitions du sorcier et de l’imposteur. Enfin, à condition de libérer les prisonniers de Aspic. Et cela Aspic ne savait comment le faire. Mais puisqu’il fallait entretenir les tableaux à coup de poussière, et comme celle-ci venait du miroir : Méric sans réfléchir plus brisa le miroir, et allumant une flambée dans la cheminée y brûla la poudre. Au même moment le peintre sembla se réveiller, et se mit à hurler des tonnes d’injures plus inventives les unes que les autres.

 

Bien vite, Fostin fut libéré, et en compagnie de Méric fit une grande flambée de tous les tableaux qui n’étaient redevenus que d’enfantins gribouillages. Le feu pétillait joyeusement quand le roi fit son apparition. Il semble qu’une partie de lui-même était restée parfaitement consciente des événements, car il ne réclama aucune explication mais appliqua un extraordinaire coup de pied aux fesses de son bourreau.

 

Dès le lendemain Djorna récupérait ses appartements, le roi expulsait Aspic du royaume, n’ayant pour seule possession qu’une maigre tunique couvrant à peine sa pudeur. Il fut quand même gratifié d’un petit discours en forme de vengeance :

« J’ai bien songé à te faire raccourcir, mais je me suis dit qu’une telle punition serait trop rapide, alors je préfère te laisser à ta misère et à tes regrets. Toi qui possédais tout, jusqu’à nos âmes, te voilà plus démuni que le plus pauvre de mes sujets. Vas, et si les animaux du désert te permettent de survivre, retiens cette leçon »

Méric, lui, pensa avec soulagement retrouver son ancienne vie, jusqu’au moment où il vit briller dans les yeux de la jolie princesse une lueur qui ne lui plût guère, car cela signifiait clairement : « mariage ». Il essaya bien de se faire envoyer auprès d’un autre Maître Peintre, mais le roi, sans doute dument chapitré par sa fille refusa d’entendre quoique ce fut à ce sujet.

 

Il paraît qu’il finit par s’habituer à cette idée et qu’il devint par la suite un excellent roi et un époux heureux.

Tag(s) : #contes et histoires
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